Les Voies Ferrées Economiques du Poitou (V.F.E.P.)
LIGNE DE CHATELLERAULT A CHAUVIGNY ET BOURESSE
par
François Fisson
Section Châtellerault - Chauvigny
Le train devant la gare
du P.O. de Châtellerault
Le but essentiel
de la ligne de Châtellerault à Bouresse, dont les
dépenses
de premier établissement avaient été
estimées
à 3 689 011,62 F, était de desservir la
vallée de
la Vienne. Elle devait assurer le transport des populations des
agglomérations,
assez importantes dans cette région, ainsi que celui des
récoltes,
des engrais nécessaires aux cultures et des pierres de
taille des
carrières de Chauvigny et de Lavoux.
Le tracé
de la ligne, sensiblement nord-sud, était d'abord,
à partir
de Châtellerault, établi sur la rive droite de la
Vienne.
Sur un pont construit à cette occasion il franchissait,
à
Cenon, la rivière dont il suivait le bord jusqu'à
Bonneuil-Matours.
Montant ensuite sur le plateau pour desservir Lavoux, il redescendait
dans
la vallée à Bonnes où il
refranchissait la Vienne
sur le pont du chemin à grande communication n' 4. A Cubord,
un
deuxième pont, semblable à celui de Cenon, lui
permettait
de revenir sur la rive gauche de la Vienne, dont il quittait alors
définitivement
la vallée. Après être passé,
à Lhommaizé,
au-dessus de la voie ferrée Poitiers-Limoges, sur un pont
métallique
de 16 m d'ouverture, il se dirigeait vers son terminus de Bouresse.
La ligne
à voie métrique, d'une longueur totale de 69,309
km, fut
construite avec des rails en acier pesant 18 kg/m, fixés sur
des
traverses en bois de 1,70 m x 0,18 m x 0,12 m, au nombre de dix-sept
par
élément de 12 m de voie. Sauf en quelques points
particuliers,
le rayon des courbes était supérieur à
60 m et les
pentes inférieures à 3,5 %.
En trois
de ses points, cette ligne était en liaison avec le
réseau
de la Compagnie du Chemin de Fer de Paris à
Orléans (P.O.).
D'abord à Châtellerault où une halte
avait été
installée face à la sortie de la gare des
voyageurs de la
ligne Paris-Bordeaux. Le transbordement des marchandises entre
Châtellerault-P.O.
et Châtellerault-Tramways y était
assuré par un camion
automobile à pétrole, de 5 tonnes de charge
utile, acheté
20 000 F en 1911. Ensuite, à Chauvigny où un
embranchement
de 740 m de long franchissant la Vienne, sur le pont de la route
nationale
151, reliait par l'avenue de la gare Chauvigny-Tramways à
Chauvigny-P.O.
sur la ligne Poitiers-Le Blanc. Enfin, à
Lhommaizé où
la gare du tramway, construite à côté
de celle du P.O.,
y était reliée à la ligne
Poitiers-Limoges par une
courte voie de liaison.
La différence
d'écartement entre les voies du tramway (1 m) et celles du
P.O.
(1,435 m) ne permettait pas le passage du matériel roulant
d'un
réseau à l'autre. Cette
incompatibilité technique
imposait des manutentions supplémentaires chaque fois que
des marchandises
changeaient de réseau, ce qui augmentait la durée
et le prix
du transport.
La gare des VFEP á
Châtellerault
Dans les gares
les plus importantes : Châtellerault, Vouneuil,
Bonneuil-Matours,
Chauvigny, Lhommaizé, Verrières et Bouresse, il
avait été
prévu trois voies, mais seulement deux pour les autres
à
savoir : Cenon, La Chapelle-Moulière, Lavoux, Bonnes, St
Martin
la Rivière et Salles en Toulon. Les constructions des
stations intermédiaires
étaient toutes du même type. Elles comprenaient un
bâtiment
pour les voyageurs, renfermant la salle d'attente, le bureau et le
logement
de fonction, auquel était accolée une halle pour
les marchandises.
Un quai découvert et des cabinets d'aisance
complétaient
ces installations. La station de Châtellerault avait la
même
disposition mais une surface couverte plus importante, avec en plus une
remise pour une machine et un dortoir pour le chauffeur et le
mécanicien.
A Bouresse, il avait aussi été prévu
une remise pour
la machine et un dortoir. Le dépôt pour la remise
et l'entretien
du matériel avait été
établi à Chauvigny,
au pied du viaduc du P.O..
Afin d'assurer
le ravitaillement en eau des locomotives, on avait installé
des
grues hydrauliques au dépôt et dans les gares de
Châtellerault,
Bonneuil Matours, Morthemer et Bouresse.
Au début,
sept locotenders, huit wagons de voyageurs à deux essieux,
six Wagons
de voyageurs à boogies, cinq fourgons à bagages,
vingt wagons
couverts, onze wagons tombereaux et
dix-sept wagons plateformes constituaient
le matériel roulant.
Les locomotives
de type 030, construites par la maison Veuve Corpet-Louvet et Cie
à
Paris avaient coûté chacune 35 000 F. D'un poids
de 20 tonnes
et d'une largeur de 2,10 m, elles étaient
équipées
d'une chaudière de 1,950 m3 de contenance.
Alimentées par
deux injecteurs, ces chaudières étaient
timbrées à
12,5 kg/cm2
et avaient une surface de chauffe de 40,65 m2.
Les pistons, d'un diamètre de 0,30 m et de 0,38 m de course,
actionnaient
des roues de 0,950 m de diamètre, leur permettant une
vitesse maximale
de 35 km/h.
En avril,
puis en mai 1911, eurent lieu les réceptions provisoires
d'une machine,
puis de wagons, que le concessionnaire utilisa pour la construction de
la ligne, comme l'y autorisait la convention du 10 novembre1908. La
réception
définitive ne devait avoir lieu qu'après une
parfaite remise
en état de ce matériel. En août 1913,
la totalité
des voitures de voyageurs, des fourgons et des wagons à
marchandises
ainsi que six locomotives furent provisoirement reçus.
D'une longueur
de 105 m, les ponts de Cenon et Cubord furent construits sur le
même
modèle. Ils sont constitués par des
travées métalliques
de 15 m reposant sur des piles de maçonnerie. Ils sont
encore aujourd'hui
utilisés comme ponts routiers. Le projet, qui à
l'origine
n'y prévoyait que la circulation du tramway, fut
modifié
et la largeur de chaque pont portée à 6,80 m afin
d'y permettre
aussi le passage des voitures. Les 50 000 F d'augmentation du prix de
revient
de chacune de ces constructions, entraînée par
cette aménagement,
furent imputés à la charge des mandats communaux,
le coût
initial ayant été estimé à
200.000 F.
Le 31 janvier
1913, le pont de Cenon était terminé et
cylindré,
mais les concessionnaires l'avaient barré afin d'y
empêcher
la circulation. Depuis longtemps déjà, les
habitants se plaignaient
de ne pouvoir encore bénéficier des avantages
offerts par
ce nouveau moyen de liaison rapide entre les deux rives de la Vienne.
En
ce début d'année 1913, il
renouvelèrent leur demande,
déjà formulée le 17 novembre 1912,
d'avoir enfin la
possibilité d'utiliser le pont pour traverser la
rivière.
Un journaliste
de "L'Avenir de la Vienne" rend compte de la première
activité
officielle de la ligne "Dimanche"
(15 juin 1913): "Il nous a
été donné d'assister par un temps
magnifique à
l'inauguration à Cenon d'un pont sur la Vienne et d'une
école
enfantine...Nous quittons Poitiers par le train de 10 h 38. ...A la
gare
de Châtellerault se trouvent MM... En face de la gare de la
Compagnie
d'Orléans, stationne le tramway spécial de la
Compagnie des
Tramways de la Vienne qui va nous conduire jusqu'à Cenon sur
le
tronçon déjà construit de la ligne
Châtellerault-Chauvigny.
La machine et les wagons (deux voitures à boggiesdont une
mixte
de 1° classeet une de 2° classeoffrant au total 60
places assises)
sont ornés à l'avant et à
l'arrière de trophées
de drapeaux.
On part
à 11 h 15 causant dans la traversée de la ville
l'enthousiasme
de la population châtelleraudaise, qui se presse sur tout le
trajet
suivi pour la première fois par le tramway. Le train
officiel traverse
le nouveau pont à midi précis.”
Une crue
importante de la Vienne, les 30 et 31 mars 1913, avait
provoqué
un léger basculement vers l'avant de la pile n° 3 du
pont de
Cenon. Au cours de la deuxième quinzaine du mois suivant, un
scaphandrier
du service maritime de la Charente Inférieure, mis
à la disposition
des ponts et chaussées de la Vienne par
l'ingénieur en chef
de La Rochelle, examina les fondations endommagées.
Pratiquement
il ne constata qu’une casure à
l’arrière du bec de la pile
n°3.
A la suite
des essais officiels effectués les 26 mars et 18 novembre
1913,
trois locomotives sont autorisées à circuler sur
la ligne.
Le dimanche
22 février 1914 avait lieu l'inauguration du pont de Cubord
: “Malgré
le mauvais temps, la fête organisée par la
municipalité
de Salles en Toulon a pleinement réussi...
Précédé
de quelques musiciens de la fanfare de Chauvigny, le cortège
officiel
s'est rendu au pont de “Cubord de d'çai et Cubord
de d'lai” et sur
lequel circulera avant la fin de l'année le tramway de
Châtellerault
à Bouresse”.
Il est
possible que l'approche de la guerre et le fractionnement de la mise en
service de la ligne expliquent que la presse de l'époque ne
se soit
pas fait l'écho d'une inauguration officielle comme cela
avait toujours
été le cas, jusqu'à ce jour, pour de
tels événements.
En effet,
le samedi 21 mars 1914, le tronçon
Châtellerault-Bonneuil
Matours était ouvert “pour
les voyageurs, les bagages et les
chiens”. Puis, le
mercredi 1° avril le trafic fut étendu
à la section Bonneuil Matours-Chauvigny St Martial, les
travaux
de terrassement n'étant pas encore terminés entre
Chauvigny
St Pierre et Chauvigny Champ de Foire. Il fallut ensuite attendre le
mercredi
10 juin pour que soient ouvertes :
1°/
au transport des messageries en trafic local et transit, les gares de
La
Chapelle Moulière, Lavoux et Bonnes ;
2°/
au transport des marchandises à petites vitesses en trafic
local
et transit les gares de Châtellerault Tramways, Cenon,
Vouneuil sur
Vienne, Bonneuil Matours, la Chapelle Moulière, Lavoux et
Bonnes
;
La gare de Vouneuil sur
Vienne
3°/ au
transit, seulement des marchandises en petites vitesses, la halte de
Châtellerault
Orléans.
Dès
le début de la guerre, la mobilisation du personnel et la
réquisition,
par l'autorité militaire, du matériel
d'exploitation entraîna
l'arrêt du service. C'est ainsi que, le 2 mars 1915, la
compagnie
des V.F.E.P. a livré, à la 10° section
des Chemins de
Fer de Campagne, le matériel suivant :
3 locomotives à freins continus;
25 wagons couverts K;
16 wagons couverts K à conduite blanche;
10 wagons tombereaux H à freins continus;
14 wagons tombereaux H à conduite blanche;
12 fourgons.
Le 21 avril,
sur nouvelle réquisition, 3 autres locomotives à
freins continus
et leur outillage ont été remis à la
même section.
En revanche,
grâce au recours à une main-d'oeuvre
étrangère,
constituée surtout d'ouvriers espagnols, les travaux de
construction
furent poursuivis au ralenti. Enfin la réquisition du
matériel
de l'entreprise de terrassement Decauville (wagonnets, voies,
croisements,
plaques tournantes), amena, à la fin de 1916,
l'arrêt complet
des travaux.